Bain de Blues 2024 : l’explosion Komodrag & the Mounodor

Comme tous les ans, j’ai eu la joie de me rendre comme de nombreux habitués au Festival Bain de Blues de Bain de Bretagne (35), à la programmation toujours très intéressante. Deux soirées de pur plaisir musical, dont je me fais l’écho tous les ans dans les colonnes de RTJ, en essayant de vous faire vivre l’événement si vous n’avez pas pu vous y rendre. Cette année, le rédacteur en chef m’a encouragé à faire plus court. Pas facile pour moi ! La richesse de ces soirées prédispose à les détailler. Je vais essayer de relever le défi. Sans garantie !
Comme tous les ans, c’est aux artistes chargés de prendre en charge les inter-scènes du vendredi que revient l’honneur de se produire en premier. Cette année, cette mission délicate sur la petite scène annexe échoit à Cherry’s on Top, quatuor de La Rochelle en mode « Jug band » très « roots » : 2 chants, 2 guitares, un cajon et une contrebassine ! Down on the corner, Out in the street, Willy and the Poor Boys are playin'... Mais voilà, si l’esprit rustique est là, la formule est bien équilibrée, les interprétations montrent parfois une subtilité inattendue, voire un soupçon de complexité, et ça fonctionne ! Bravo aux musiciens à la qualité indéniable !
La grande scène s’ouvre après quelques mots du Président Patrick Lecacheur sur la musique de Cactues Candies, déjà vus avec plaisir en 2021 à Montfort/Meu. Pas de batteur au sein de ce quintet aux racines Country, Honky-Tonk, Western Swing et Rockabilly, mais un savoir-faire évident permettant de distiller des titres vraiment sympathiques grâce à quelques bons chanteurs, avec en tête la chanteuse-guitariste Lil’lOu, mais aussi ces messieurs Jull Gretschy (chant-guitare) et Thibaut Chopin (chant-contrebasse). Si on vous dit que les Candies sont de vrais bonbons, ce ne sera pas que pour le jeu de mots : on passe à bon moment à glisser d’un titre à l’autre, d’une ambiance à l’autre, grâce à la lap-steel de Vassili Caillosse et au violon de Julie Mellaert, dans une bonne humeur évidente. Très plaisante entrée en matière, les Cactues Candies ont séduit en douceur et en charme le public du festival, délivrant au passage une dédicace à l’œuvre radiophonique de Marc Loison, présent au premier rang.



Changement total d’atmosphère avec Justina Lee Brown qui impose sa puissance remuante sur un mélange soul/funk/blues intégrant et revendiquant ses racines africaines, et mettant en avant l’utilisation de youyous. Bien soutenu par une rythmique fantastique et imperturbable, son show dynamique bien à l’africaine et très original (Justina écrit elle-même ses titres) allume une sacré mèche sur « Sweet Home » mais montre aussi d’autres aptitudes sur une très belle ballade à la fin débridée co-écrite par son guitariste et producteur Nicolas Niedermann, présent sur scène à côté d’elle. Avec Justina, sa présence incroyable et son remarquable groupe, le public captivé s’est mis à vibrer de façon plus intense.



Belle présence aussi avec Alexis P. Sutter, chanteuse « habitée » à la voix grave, impressionnante par sa capacité à délivrer un blues mêlé de gospel de facture assez classique mais très efficace, pouvant aussi tirer vers une forme de soul, et à installer une étonnante atmosphère remplie de spiritualité, d’abord sur scène où elle la communique à son groupe, où excelle le sympathique guitariste Chris Bergson, mais aussi dans la salle. Elle offre aussi un duo détonnant avec Vicky Bell, sa choriste beaucoup plus exubérante et sautillante qui la double dans les aigus. L’extraordinaire version du classique « Let it be », encore ralenti par rapport à l’original et délivré de manière très gospel, en mémoire de sa mère, choriste renommée, décédée à 101 ans pendant l’été 2023, a littéralement envoûté la salle. Impact maximum pour cette performance hors du commun, mais qui n’a pas empêché l’artiste de rebondir en accueillant sur scène un invité à l’harmonica pour « Shake your hips », boogie frénétique qui a emporté le public dans son effervescence bouillonnante.



On pouvait se demander comment allait pouvoir se terminer cette fantastique soirée, mais ceux qui se posaient la question ne connaissaient pas encore Komodrag & The Mounodor ! Le réunion des deux groupes a produit un ensemble absolument détonnant, à la pêche énorme, un véritable tourbillon renvoyant à l’époque qui les a inspirés (de la fin des 60’s jusqu’au milieu des 70’s). Propulsé par ses deux batteurs (quelquefois rejoints aux percussions par un des trois guitaristes !) dont l’un des deux est aussi un remarquable vocaliste à la voix de ténor très anglo-saxonne, le groupe a dynamité la salle du festival avec un set absolument ahurissant, look d’époque, y compris les pilosités, et mouvement perpétuel, sans parvenir à cacher ses énormes qualités mélodiques bien mises en évidence par la présence de quatre (!) chanteurs de qualité pouvant être soutenus aux chœurs par un cinquième membre ! Les harmonies omniprésentes et le travail poly-rythmique structurent aussi le jeu des guitares, de la basse et d’un orgue naviguant entre psychédélisme, blues sudiste et naissance du rock métallique : un énorme boulot inventif d’arrangement et de mise en place, le tout impeccablement mis en scène au service de compositions qu’on ne peut pas qualifier de léthargiques !

Cela m’a vraiment fait penser par moments à ce que Grand Funk Railroad avait baptisé « Footstompin' Music ». D’ailleurs le groupe américain fait visiblement partie des influences avouées, au même titre par exemple que l’Allman Brothers Band, mais un ABB qui aurait mis les doigts dans la prise et ne les aurait pas retirés ! Les racines bretonnes, et plus généralement celtiques, des musiciens sont aussi présentes et revendiquées pour prodiguer à un public déchaîné une musique aussi inattendue qu’efficace entre Fest-Noz, Compapadé et TNT façon australienne ! Au milieu de ce maelstrom permanent, la très mélodique et très sensible ballade « It could be you » montrait de manière éclatante que ce groupe a décidément bien des cordes à son arc. Amis lecteurs, croisez les doigts pour que le grand méchant loup ne vienne pas essayer de croquer cette pépite du rock breton : ce groupe très original recèle bien des promesses, et nul doute que leur concrétisation risque de combler nos oreilles ravies. Quel coup de tonnerre… de Brest !

Encore assommés par l’incroyable soirée du vendredi, les survivants se sont regroupés le samedi après-midi au Point-Bar de Bain de Bretagne pour accueillir les Black Cat Bones dans le cadre des concerts gratuits de Bar’n’Blues. J’ai tenu moi aussi malgré la météo maussade à aller encourager le trio auvergnat, et j’ai bien fait. J’ai passé un agréable moment avec leur folk blues servi par deux voix principales très différentes (Lhô et Philippe), et soutenu par des percussions, des guitares, de l’harmonica mais aussi l’original et superbe violon de Claire.

Retour à la grande salle du festival pour le deuxième jour ! Cette fois, les artistes chargés de prendre en charge les inter-scènes du samedi s’appellent Lucky Pepper, qui installent aussitôt une ambiance très 50’s/début 60’s avec leur musique très dynamique et pleine de bonne humeur. De plus en plus conquis au cours de la soirée, le public va leur réserver un excellent accueil au point de voir leur dernière prestation saluée par un véritable enthousiasme et accompagnée de multiples danseurs évoluant devant la petite scène. Bien joué !

Sur la grande scène, la tradition veut que le premier artiste de la soirée soit celui qui a remporté le Prix Bain de Blues Festival de l’année précédente aux Rendez-vous de l’Erdre. Cette fois, l’élu est le Zacharie Defaut Band, du nom de son meneur, chanteur et guitariste, qui s’empare de la scène avec beaucoup d’enthousiasme sur ses deux premiers morceaux avant de se lancer dans des variations instrumentales sur le thème du célèbre, mais plus calme, « Amazing Grace » et d’enchaîner sur une ballade. On remarque tout de suite le très beau son que Zacharie réussit à tirer de sa guitare, que ce soit une Strat’, le plus souvent, ou une Les Paul Std, et sa capacité à délivrer des soli prenants gorgés de feeling. Ses influences hendrixiennes à la guitare ressortent plus particulièrement sur son hommage « Electric Lady », où il n’hésite pas à s’inspirer, on pourrait presque dire à citer, des phrases du gaucher de Seattle. Comme en plus notre homme est loin d’être ridicule au chant, et qu’on sent à quel point il vit intensément sa musique, le public l’adopte très vite, lui octroyant un très beau succès.

Le groupe suivant, comme l’annonce Patrick Lecacheur, on le connaît bien ici ! Formé à Nantes en 2018 , les Freaky Buds présentent une composition atypique, un batteur (Hugo Deviers) et un harmoniciste (Thomas Troussier), répondent certes présent, mais pas de bassiste, et une formule guitaristique déjà vue dans le blues et le rock (Cramps !) : deux guitaristes, dont un alterne souvent jeu sur les cordes graves et mini-accords plus aigus (Lonj), et un autre plus porté sur les soli, qui s’occupe aussi ici du chant principal. Ce guitariste-chanteur est très connu dans la région puisqu’il s’agit de Max Genouel, originaire de Rennes, qui a fait ses classes au bœuf blues local de Roazhon Blues et, de 2013 à 2018, au sein des Lazy Buddies où son père officie à l’harmonica. La prestation du groupe s’engage aussitôt sur des blues puissants parmi lesquels peut se glisser une composition plus chaloupée ou plus débridée, voire un formidable blues lent crépusculaire de haute volée, mais toujours « avec le gros son », en particulier celui que Max tire de sa Guild. Avec de tels ingrédients, la salle est vite conquise et acclame fort justement la prestation printanière de ces « bourgeons bizarres » (c’est une des traductions possibles, en plus du clin d’œil au groupe de papa, d’autres étant moins avouables dans ces colonnes). Espérons leur d’éclore et de fournir de jolies fleurs. Encore un essai transformé !

Arrive alors un moment très attendu par une partie du public : l’entrée en scène de Shakura S'Aida. L’Américaine résidente canadienne (Toronto) se rend aussitôt aussitôt sympathique en faisant l’effort de parler français, recherchant le contact avec le public, et propose d’emblée un mélange de titres aux styles différents mais tous au service de sa voix puissante et bien timbrée, avec de nombreux extraits de « Hold on to Love » son album de 2022. La chanteuse est adepte du show à l’américaine : un vaisseau chromé un peu clinquant mais à la mise en place absolument irréprochable, un set très calculé, très professionnel, avec ce qu’il faut de démagogie pour flatter l’ego d’une partie des spectateurs, et une tendance parfois trop marqué à laisser traîner sa voix dans des effets inutiles se voulant spectaculaires : certains adorent, pour d’autres, c’est un peu « trop ». Sa version de « Heart of gold » de Neil Young n’a ainsi pas convaincu tout le monde en raison d’un manque de sobriété. Impressions contrastées... Son groupe fonctionne pourtant remarquablement bien, participe grandement à la qualité musicale indéniable et présente l’originalité d’une exubérante lap-steel guitariste qui a su immédiatement électriser quelques fans. J’ai personnellement eu un moment peur que la démagogie ne fasse déraper cette belle machine huilée en séance mal venue de « tournez les serviettes », mais fort heureusement, notre star l’a joué très finement avec la complicité de son guitariste en opposant d’abord part féminine, puis masculine du public sur deux phrases musicales différentes, 10/10 pour tout le monde comme à l’école des fans (!), avant de rassembler tout son monde grâce à la complémentarité des deux, démontrant ainsi habilement qu’il est plus efficace de s’allier que de s’opposer. Dénouement inhabituel mais bienvenu. Ouf ! Bien joué ! Certains gagneraient beaucoup à s’en inspirer. Shakira se montre ensuite absolument extraordinaire sur « Don’t wait for me », une ballade poignante où elle se décide enfin à une maîtrise sobre de sa voix, et confirme ces bonnes dispositions dans le morceau soul qui suit. Comme quoi, quand on veut et qu’on a la classe… Rappelée triomphalement sur scène, Shakira se lance dans un « Clap yo hands and moan » de haute volée avec intro bouche fermée et finit son set devant une salle en délire : incontestablement un des deux gros succès populaires de ce festival.

Pas facile de passer après Shakira ! D’autant que la dernière prestation des Lucky Pepper a elle aussi déchaîné les foules. Big Boy Bloater and The Drew Davies ont réussi l’exploit de reprendre tranquillement les choses en mains pour terminer le festival sur une note à la fois apaisée mais dynamique quand même, et globalement très sympathique. Menant un ensemble dont l’originalité consiste en la présence de deux remarquables saxes (un ténor et un baryton), apportant selon les besoins des touches swing ou soul, en plus de l’irréprochable section rythmique batterie/contrebasse et d’un excellent pianiste, Big Boy Bloater a mis en avant une bonhomie certaine et sa voix rocailleuse pour aligner boogies et blues de facture classique avec une grande efficacité. Tenant bien la scène, le bonhomme a su imposer sa présence, jouant parfaitement le jeu avec quelques clins d’œil pour faire lui aussi le show, mais à sa façon, avec une vraie maîtrise de son jeu de guitare. Un set classique mais vraiment très agréable, délivré par des musiciens à la compétence enthousiasmante pour terminer un festival musicalement très réussi, préservant autant la qualité de programmation que sa diversité d’inspirations, avec une fois de plus de grands moments servis par une organisation bien pensée et bien exécutée par tous les bénévoles. Cela donne vraiment envie de se retrouver à Bain pour l’édition 2025 !
Y. Philippot-Degand

PS : Pour notre rédacteur en chef, je me vois obligé de paraphraser Blaise Pascal dans les Provinciales (1656) : « Je vous écris une longue chronique parce que je n'ai pas le temps d’en écrire une courte ».
Texte et photos par Yves Degand-Philippot.

Copyright © 2007 Road to Jacksonville
Webmaster : Patrice GROS
Tous droits reservés.
Design par Zion pour Kitgrafik.com